Escales en lieux sûrs, à mille lieues de ceux qui maltraitent la parole et sabotent la rencontre.

Vous parler de lieux sûrs, de lieux justes, d’endroits qui prennent soin de la parole. Où la rencontre est belle, ample, complexe, disponible, stimulante, authentique, à mille lieues de certaines bulles. Cela me paraît précieux, les endroits où l’on se parle, s’écoute, curieux, sereins. C’est l’occasion de saluer ceux et celles qui les rendent possibles. Ce n’est pas ce qui fait le plus de bruit et pourtant ces endroits ne sont pas si rares, « dans la vraie vie ».

À suivre : un combo de lieux, de moments, d’amies, de médias et de livres, occasionnant deux trois observations et une petite conclusion. Avec l’ @inh @lakambrousse @linattendue @hypermonde , des librairies, #pardelàlandrocène et Blast

L’institut de naturopathie humaniste,

c’était les 5 ans, une soirée avec les intervenants et intervenantes de l’école, une famille qui ne se connaissait pas mais tissait ensemble. En 2017 Odile Chabrillac me dit : «je veux que tu viennes parler citoyenneté, engagement, désobéissance et utopie aux élèves ». Moi «  Bah pourquoi ? ». «  Parce qu’une naturopathe qui n’est pas citoyenne du monde, qui n’embrasse pas une pensée complexe, ça n’a juste aucun sens ». Visionnaire la Odile, elle a aussi l’avantage de me secouer quand je m’excuserai presque d’avoir un truc à dire. Fort salutaire une telle amie. Elle me donne du temps. J’ai une journée (et bientôt deux) pour explorer avec « les élèves » leur utopie d’être, comment prendre sa place, entre engagement et accomplissement personnel. Comment on vit avec les autres quand on change de vie, ce que cela provoque ? Le temps de traverser pourquoi elles et ils sont là finalement. Le cap, l’utopie sous-jacente, on pourrait l’oublier quand on étudie autant de matières et d’enseignements des semaines durant. Ces « élèves » ont un niveau d’être (je ne sais le dire autrement) tellement supérieur aux persiffleurs approximatifs de la naturo. Ils me nourrissent. ( Note pour moi même: J’aimerais trop faire cette école, d’autant qu’il y a Sophie Jankowski et ses Murs à Fleurs ).

La Kambrousse, lieu d’accueil de Marc de la Ménardière et Malory Malmasson,

organisait un premier évènement local, enraciné : des « conversations ». Elles furent riches, quel que soit l’endroit où on était assis : à la table ronde, dans le public, sur une botte de paille, au milieu des producteurs et artisans du coin. Avec la stimulante journaliste Cécile Lefort, s’autoriser le temps de déployer une pensée, sans compétition de parole, s’autoriser à intervenir depuis la salle avec émotion, raconter son dur travail agricole, son impuissance et sa tristesse, m’autoriser à y répondre sans véritables réponses, accueillir son sourire revenu. J’y ai rencontré des paroles nouvelles sur les forêts, la conversion biologique, la frise de Valérie Jousseaume, retrouvé le travail déterminé d’Anne-Sophie Novel portant une charte d’éthique journalistique, et qui, avec son blog il y a près de 20 ans fut un des rares phares qui m’éclairait. Revoir Gregory Vacher, indispensable dans la trame que nous tissons toutes et tous, sa légèreté sérieusement au service d’un monde un peu meilleur. Écouter les chansons de Gaël Faure, discuter art, engagement, risque, petites salles. Lieux justes… Revoir des gens déjà croisés. Forcément ces lieux sont les nœuds de nos liens, les attaches de nos écosystèmes. La sensation d’avoir à peine effleuré ce lieu, les alpagas, le vieil arbre sage, le silence et évidemment ses deux hôtes. La prochaine rencontre m’émerveille par anticipation.

L’innattendue,

ça fait un peu plus longtemps, c’était en juin. Disons que ma relation aux réseaux sociaux s’est corsée:) J’ai du mal à écrire sans élan et rien qu’à y penser mes élans se tétanisent. D’abord le lieu, cette idée d’accueillir pour se ressourcer, un classique pour urbains en burn out, oui mais pas un paradis esseulé, retiré, non, au coeur d’un village, avec son clocher, le programme des évènements de cette ancienne colonie de vacances trônant à côté des confitures à l’office du tourisme. Steph et Rémi ouvrent la maison au village et inversement. Il était bien en conférence Yannick sous la boule à facette, stand up dans le flow du moment devant les uns du village et les autres de la colonie du week-end. La colonie, forcément chouette elle est venue sans que le programme ne soit établi ! Nous n’étions jamais intervenus tout un week-end, jamais tous les deux, jamais sur ça, jamais comme ça. Sous les arbres, en marchant, en dansant, en préparant la cuisine. La dernière expérience de la dernière matinée fut magique : ma fiction s’est invitée, chacun chacune défendant un mot, un chemin vers son utopie, trouver son écriture pour celle-ci. Yannick et moi on a tout mélangé : la prospective, l’auteur, la romancière, les éditeurices, le couple, les parents, les engagés, les raccords, les pas-raccords. Les lève-tôt, bien que couchés tard. Et c’était inattendu. Et c’était bien. Parce que Steph et Rémi ont la confiance et la joie et la curiosité et l’amour des gens.

Le festival Hypermonde

a fêté les romans imaginaires. 4/5 heures pour y aller, autant pour revenir… Mais c’était tellement bon. Les dessins de Luc Schuiten en expo, ce visionnaire incomparable. Il y a plus de 10 ans je passais une journée de biomimétisme avec lui et Gauthier Chapelle. Chaque jour ce qu’ils m’ont transmis prend un peu plus corps. Trop bon de voir les auteurs et autrices d’imaginaire, leur public, fluide, libre, le trouble dans le genre, la parole enflammée, la flamme, les yeux rivés vers les possibles. Et au-delà. Bon de rencontrer un gardien de l’imaginaire: Xavier Dollo , de parler dans la salle du vieux cinéma, de dédicacer entre le mariage à la sortie de l’église et le marché du samedi matin. Bon de partager avec Eve Gabrielle autrice de La part cachée du monde, me replonger dans le fil de son écriture, son travail d’anticipation minutieux, son tempérament généreux. Se doper toutes les deux à voir l’appétence des « gens » pour nos romans qui racontent un avenir qui n’est ni cynique, ni sombre. « Mais merci ! » nous a-t-on dit. Et précieux cette soirée avec ma chère amie qui me dit avoir été profondément émue à la lecture de « par-delà l’androcène », de lire ce qu’intuitivement elle savait, sentait, subissait, écrit là, simplement , une reconnaissance. Un lieu sûr pour en parler… Me rendre compte que j’aurais pu passer à côté de son émotion, prisonnière de ma défensive, prête à toutes les attaques.

Se dire qu’il suffit de se parler, pour de vrai. Et comprendre que les bulles décidément ne sont que des bulles.

Les dédicaces en librairie…

toujours magiques. Ces moments ont malheureusement pâti de l’épisode sanitaire. On sort moins et c’est fort dommage. Il paraît que la fréquentation des transports en commun n’est pas repartie, les voitures si. Les bars refont salle comble, et les librairies ? Bref, quelle joie d’avoir ce temps à trois. Du temps pour expliquer, défendre des choses différentes, dé-tresser ce qui l’a été, le nourrir à postériori, car depuis son écriture l’androcène nous saute aux yeux partout. Les gens aussi. Repartir avec leurs illustrations dans la besace. Raconter avec mes coautrices comment nous avons réfléchi, écrit, tenté de comprendre. Pourquoi ce trio, comment il est né. Expliquer ce point de rencontre que nous avons peu à peu noué, depuis des chemins différents, des points de vue parfois divergents. Regarder en arrière et se dire que nous n’avons pu entreprendre ce chemin entre nos inconforts, nos constructions et nos crispations respectives qu’en lieu sûr, dans un espace de respect profond, arrimé à la même intention sincère : dénouer et renouer. Comme dans ces librairies avec de parfaits et parfaites inconnues. Que d’observations intelligentes viennent enrichir à chaque fois ma vision. À mille lieues du gâchis d’intelligence que certaines bulles déploient.

Une interview à venir chez Blast

en duo, avec Adélaïde Bon. Il paraît que deux personnes pour un même livre c’est déjà trop. Il paraitrait que « les gens » n’arrivent pas à suivre. Même un auteur étranger avec un traducteur ce serait trop compliqué… Bref. Nous avons été interviewées par Paloma Moritz, dont la ténacité et le professionnalisme forcent mon respect. Elle pose les questions qui percutent, nous laisse le temps de répondre, avec attention. Parler de sujets dits écoféministes dans un monde de format court auprès d’un public de youtube à 80 % masculin, belle ambition. Je ne sais pas si nous avons été intéressantes avec Adé mais je sais que seule Paloma a voulu (réellement) échanger avec « les deux autres » 🙂 Que nous avons accepté un entretien qui nous ravissait, safe, sur le fond. Que nous aurions eu mille choses à dire en plus, évidemment. Et d’ailleurs nous avons continué à parler après et c’était passionnant, rassurant. Le temps il y en avait pour ça aussi.

Il existe donc des brèches médiatiques, des femmes journalistes engagées, elles subissent des commentaires violents. Qui voit encore la violence d’un commentaire ? D’un émoji ? Certaines décident de ne pas déserter, de continuer, d’informer. Ça c’était une bonne nouvelle.

Je rêve de plus de lieux sûrs comme ceux-là. À y aller, à parler avec des amis, des gens, on se rend compte à quels points d’autres lieux sont maltraitants, dans les deux sens du terme. Insécures, abrutissants, délétères, immatures. De la diversion, du cirque, du remplissage, de la stérilisation de la réflexion, un piège pour l’altérité. On en oublie le respect, l’écoute, la possibilité de faire évoluer ses opinions, la suspension… pour ne pas forcément toujours tout juger, tout commenter. Se défendre. Ce mauvais traitement abaisse les êtres et sabote les liens. Les nôtres.

Heureusement il existe des endroits où parler n’est pas un risque, où écouter n’en est pas un non plus. Les lieux sûrs ne sont pas des endroits sécurisés, ce sont des endroits de liberté, de liberté d’être, d’être ensemble.

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